Wednesday, 28 November 2012

Prendre part à la nuit de Jean-Baptiste Pedini

Prendre part à la nuit - ou comment ne pas sombrer, pour ne pas dire se noyer, dans l'océan du soir.

Je me suis penché sur cette thématique double en lisant attentivement ce petit recueil de textes courts écrits par Jean-Baptiste Pedini publié par Polder.

C'est sans aucun doute une prose poétique urbaine où les références à la ville sont nombreuses: la nuit sous les toits, dans les rues, à la sortie du métro, dans des arrières-cours douteuses, sous les néons blafards des commerces, dans l'herbe ou sous la neige.

Malgré tout, j'ai repéré que l'élément liquide, souvent loin du contexte urbain, n'était jamais très loin dans les gemmes de Jean-Baptiste. L'eau: qu'elle soit pluie, océan, flaque, averse d'orage ou neige justement, vient ponctuer et peut-être rafraîchir la noirceur opaque de ces textes. Le premier n'est-il pas intitulé "Le ciel sous l'eau"? Et même lorsque faute d'être près de l'océan ou de la mer que l'on cherche toujours, il reste le doux ronronnement de la nuit qui pourra faire office de coquillage.

Mais comprenez moi bien, derrière "noirceur opaque", je ne mets rien de péjoratif ou de critique bien au contraire, et j'ai depuis longtemps cessé de parler de ce que je n'aimais pas. Trop de sensibilité exacerbée et de susceptibilité mal placée en ce microcosme de la petite-presse.

Cette noirceur, c'est bien celle de la nuit, et c'est bien naturelle. Assembler un recueil autour de cette thématique ne saurait se passer de la teinte du soir et du ciel nocturne. Cette noirceur est aussi celle de l'âme, comme le dit également Jean-Christophe Belleveaux dans la préface qu'il signe, nous sommes face à une composition spleenetique, où les références baudelairiennes sont pléthores et auxquelles, vous le savez, je ne serai pas insensible, comme ce petit soir triste avec un ciel bas comme un plafond. 

Jean-Christophe Bellevaux fait également référence aux Romantiques ce qui est certainement justifié dès l'instant où la génération actuelle d'auteurs est une génération fin de siècle, celle née à la fin du XXème et se sentant sans doute trahie par la société toute entière, comme purent l'être les auteurs dans toute la première moitié du XIXème en Europe. Lorsque le commun des mortels est devenu conscient de sa conscience et a réalisé combien le monde était laid et compliqué et a commencé à vivre pour lui même et non plus pour quelque esprit dit supérieur, qu'il soit princier ou divin. Il faut dire que rien ne s'est réellement arrangé par la suite. Le spleen de Baudelaire, incarné dans le corbeau de Poe, son mentor, sont toujours aussi présents de nos jours qu'ils l'étaient à cette époque.

Et c'est de cette trahison mal digérée - et comment pourrait-elle l'être? - que sont empreints ces textes.
Que reste-t-il comme repères et comme espoirs à cette génération dite "sacrifiée"? Tout est à réinventer, à commencer par les idéaux, lorsque la religion a été abandonnée à juste titre depuis des lustres, que la politique n'est plus qu'un ramassis de mensonges et d'arnaques, que l'engagement collectif, aussi volontaire et pur soit-il, ne mène jamais bien loin, broyé par une machine à faire du profit, machine sur l'autel de laquelle cette même génération a été égorgée. Tout est à repenser, à revoir, à recréer, lorsque même les arts, la littérature et la musique se sont prostitués et se sont vendus aux plus offrants.

L'entreprise est longue et douloureuse, les auteurs le savent bien. Cette génération qui incluent les hommes et les femmes pour lesquels les idéaux fleuris des années 1960 pouvaient encore paraître crédibles et qui se sont résolument tournés vers le no future, car comment pourraient-ils être optimistes face à l'avenir lorsque le présent est déjà si sombre? Elle englobent aussi les auteurs d'un âge proche du mien et ceux nés en toute fin du siècle dernier et qui émergent à présent.

Cette présence de l'élément liquide dans les textes de Jean-Baptiste est-elle une forme de mélancolie intra-utérine, de nostalgie du ventre de la mère, où l'élément liquide tiède, protecteur et tranquillisant était quand même drôlement agréable? Le voile de la nuit en serait-il le succédané? Il est certainement moins apaisant car toujours en mouvement et bruyant de sons qui, bien que ouatés, n'en sont pas moins assourdissants, mais n'en est-il pas pour autant tout aussi velouté?

Il y aurait tant de thèmes à explorer dans ce court recueil que je ne saurais trop vous recommander. Jean-Baptiste Pedini est un auteur que je suis depuis peu et souhaiterais encore mieux connaître. Une invitation à le voir dans les pages de la revue? Sans aucun doute. Nous sommes nombreux à reconnaître en lui un auteur important dans cette mouvance littéraire et artistique francophone du début du XXIème siècle.

Prendre part à la nuit, Jean-Baptiste Pedini, éditions Polder, 2012. 6€

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