– Votre CV ne précise pas si vous êtes mariée, si vous avez des enfants ?
– Pas d’enfants, célibataire sur le papier.
– Vous comptez en avoir ?
– Des enfants ?
La vioque jaugeait Tellie derrière ses lunettes teintées.
– Pour quoi faire ?
J'ouvre cette note de lecture par cet extrait de la nouvelle de Jérémy Bérenger, "Le cassos", parue dans Mauvaise graine numéro 33, en avril 1999, parce qu'il faut bien le dire, "La partie riante des affreux" recueil de textes poétiques de Patrice Maltaverne et Fabrice Marzuolo, écrit donc à quatre mains, paru en mai 2012 au éditions du Citron noir et illustré par Henri Cachau, ne fait pas non plus la part belle à l'enfance, à l'enfantement, de la conception à la libération tardive des parents par leur progéniture.
La question posée par Patrice et Fabrice n'est pas pourquoi faire? mais tout simplement pourquoi?
Cette question, je me la suis moi-même posée à plusieurs reprise, n'ayant cependant pas d'hésitation sur la réponse ni sur une paternité possible.
Le rire est salvateur, mais la noirceur est omniprésente. Le questionnement, l'étonnement, vif et déconcertant à en être éberlué, l’écœurement même: "le mot goûter me dégoûte", face à cette envie, ce besoin qu'ont les êtres humains à se reproduire. Nous en avons (presque) tous fait l'expérience: un couple d'amis dont le but est d'avoir un enfant et qui y parvient ne sera plus jamais le même une fois cet acte accompli, et peu à peu, les liens se détachent, les rencontres se font rares, les enfants ont kidnappés nos amis.
Les mots sont parfois très durs, mais si drôles, comme un film noir, un film d'épouvante qui ne se prendrait pas au sérieux, l'écho amer d'une maternité hitchcockienne où se mêle un peu de désespoir à cette irrésistible envie de verser un produit stérilisant dans le réseau d'eau potable "Quand je passe devant les crèches vitrifiées/Je vois les grosses têtes des bébés/ Rien du joufflu/Tout de la tumeur..."
Cette idée tout aussi sombre que l'enfantement serait l'apanage des pauvres, une sorte "d'opium du peuple", que la nécessité de procréer, d'un temps venue de l'Eglise, serait à présent la volonté politique de nations assoiffées de chair à canon, d'ouvriers et d'employés dociles, de citoyens à décérébrer: "Pour prolonger leur race et leur pouvoir/ Il a fallu mettre à tout prix/ Dans la cervelle des pauvres/ Cette idée de l'amour automatique..."
Quand je dis qu'il faudrait supprimer les allocations familiales...
Avant d'entrer dans ces concepts plus profonds, c'est aussi la paroles de deux hommes qui disent ne pas être de nouvelles chiennes de garde. La femme serait-elle donc plus attirante femme que mère? Un débat, sans doute. Le sein est plus bandant que la mamelle selon eux et Eve est morte une fois Caïn et Abel mis au monde. L'envie de tuer le poussin dans l’œuf avant qu'il ne pépie et ne saccage le couple, la vie sociale et toute envie de rester droit.
Car voyez-vous, ces deux lascars voient le père comme un sexe au repos, ou plutôt devenu impuissant. Tout est mou après la mise bas. Le sexe sur la toile de maître "penche du côté de l'assiette"; le zoom de l'appareil photo en bandoulière qui "regarde le sol/ mollement comme après une nuit de noce/ qui se serait éternisée." Le rire lui-même est mou lorsque la femme est un cercueil.
La molitude des choses, comme un corps le serait après l'ébat, ou bien la vie. La conception même est le début de la mort et la symétrie de ces deux âges de la vie, les sphinx nous la balance à la figure à chaque page. Le groupe pop Placebo chantait "When I was born I started to decay" (Lorsque je suis né j'ai commencé à me décomposer). En effet, retour à cette question: pourquoi concevoir, laisser croître dans ce cercueil que devient l'utérus, mortifier le corps d'une femme (la tendresse suivie de la tendreté - lexique de boucherie), arracher le cœur de l'homme devenu père sans jamais y être préparé, sans parfois ne jamais l'avoir désiré au plus profond de lui-même. Pourquoi tout ça pour fabriquer de futurs morts? Question qui taraude nos deux esprits tortueux, tourmentés, terrorisés peut-être par cette existence d'entre deux siècles.
Les portraits noirs, à la taloche d'Henri Cachau font écho à ces poèmes pro-choix. Visages plus qu'effrayants, visages humains carbonisés, cadavériques, les yeux éteints, à peine visibles, la bouche fermées - en ont-ils une? Ces visages peints de nuit, comme dans l'ombre des entrailles d'une mère ou dans les ténèbres de leur caveau.
Un essoufflement des auteurs ou une lassitude du lecteur intervient au deux-tiers du recueil. Malgré tout, le texte reprend son souffle et nous notre vigueur dès les dernières pages avec deux textes "La toile" de Fabrice Marzuolo et "Utopique" de Patrice Maltaverne.
La partie riante des affreux, Patrice Maltaverne et Fabrice Marzuolo, illustrations de Henri Cachau, édtions Le citron noir, 4 place Valladier 57000 Metz, 12 €.
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